Dans un monde de plus en plus connecté, le carnet de croquis d’artiste apparaît comme un refuge loin du tumulte.
Cerné par les adeptes de la tablette, des smartphones et des outils numériques, un petit groupe d’irréductibles préfère le papier et les crayons.
On a tous en tête la vision romantique de l’artiste déambulant dans un musée, son carnet usé à la main ; l’écrivain dans un café, alignant des mots par milliers dans un cahier avec son plus beau stylo-plume.
Mais nos carnets sont-ils vraiment des îlots de calme et d’introspection ? Sont-ils réellement déconnectés du monde virtuel ?
Avec l’essor des réseaux sociaux, l’utilisation des carnets, des agendas papier et du bullet journal connaît un renouveau inattendu. J’aime cette idée, étant moi-même adepte des outils analogues.
Ceci dit, ce retour en grâce des carnets de notes ou de dessin s’accompagne d’un effet pervers : nous transformons nos jardins secrets en contenu.
Et bien entendu, créer du contenu signifie :
- De la pression à créer régulièrement
- L’angoisse de la validation extérieure
- Moins de plaisir à utiliser ses carnets
J’ai vécu une longue relation amour-haine avec mes nombreux carnets avant d’arriver à une utilisation apaisée. Si tu collectionnes les tiens et que tu les abandonnes les uns après les autres au bout de quelques pages, cet article peut t’aider.
À quoi sert un carnet de croquis d’artiste
Le carnet à dessin ou sketchbook, est en principe un endroit où l’on peut s’exercer en toute intimité, sans jugement. C’est un outil que l’on garde pour soi, dans lequel on s’autorise erreurs, ébauches et ratures.
Tout y est autorisé, en théorie :
- Remplir les pages de gribouillages compréhensibles seulement de nous
- Sauter des pages, y revenir plus tard
- Griffonner des notes, des listes, des idées
- Coller des photos, des articles.
Utiliser un carnet de croquis (ou tout autre journal papier) procure de multiples bénéfices :
- Tu vides ton esprit des idées qui y bouillonnent pour ne plus les laisser filer
- Tu t’accordes un créneau de créativité régulièrement
- Ecrire au crayon ou dessiner calme le stress et stimule la mémoire
- Ton carnet te tient éloigné des écrans.
Alors pourquoi la relation entre les artistes et leur sketchbook est-elle si compliquée ? On commence un carnet pour l’abandonner après 2 ou 3 pages ; on en commence un autre, persuadé que ce sera le bon, mais le cycle se perpétue.
Carnet de travail ou objet d’art : deux écoles
Aujourd’hui, il y a deux grandes tendances dans l’usage du carnet de croquis d’artiste :
Le carnet de brouillon
Brut de décoffrage, rempli d’esquisses, de marques de gomme et d’empreintes digitales en graphite, c’est le bras-droit de l’artiste par excellence.
On ne le montre pas, on ne le partage pas. C’est notre jardin secret, celui qui accompagne notre évolution artistique sans critique, sans un mot.
Le carnet d’art
Journal de voyage à l’aquarelle ou “urban sketching” à l’encre de Chine, le carnet se fait objet d’art et support pour des œuvres beaucoup plus abouties.
Ici, il ne s’agit plus exactement d’un terrain d’entraînement. Les pages sont soignées, la composition calculée.
Ces deux usages pourraient coexister en harmonie sans la pression permanente imposée par les réseaux sociaux sur une pratique intime et autrefois très personnelle.
Internet et la culture pop nous font détester nos carnets
Léonard de Vinci tenait de somptueux carnets de travail, qui contenaient toutes ses idées, ses projets, ses notes. Il avait tout le temps du monde pour remplir les pages, sans se soucier de qui les verrait.
Léonard n’avait pas de compte Insta
On peut légitimement penser que Léonard faisait de son carnet de notes une occupation pour les longues soirées au calme. Il n’avait pas de smartphone, pas de télé et sans doute une capacité de concentration largement supérieure à la nôtre.
Aujourd’hui, nous publions tout sur Instagram. Nous partageons les pages de nos journaux intimes, nos agendas, nos dessins. Nos sessions d’écriture et de croquis ne nous appartiennent plus.
Tout devient contenu. À ce titre, tout doit être beau. Pas pour nous, mais pour que les regards extérieurs se disent : “Oh, je voudrais tellement avoir la même chose !”
Il n’avait pas de séries télé non plus
Combien de fois ai-je eu envie d’imiter les carnets incroyables que je voyais passer dans les films et séries télé ? Le journal de bord du père d’Indiana Jones, le grimoire des sœurs Halliwell ou le fantastique journal de chasse du père Winchester dans Supernatural.
Je n’ai jamais réussi, évidemment. Je ne suis ni exploratrice, ni chasseuse de monstres, ni une sorcière.
Et surtout, ces objets sont faux. Ils ont été conçus par des pros pour donner l’illusion d’avoir été remplis au fil des années.
Plutôt que de m’acharner à essayer de copier un modèle hors de portée, j’ai travaillé sur mon rapport au carnet de croquis d’artiste pour apaiser ma collectionnite aiguë. Et économiser des sous.
Comment j’ai changé mon rapport au carnet de croquis
J’ai fait partie des acheteuses compulsives de carnets. Les pièces de mon butin s’entassaient dans mes tiroirs, attendant leur tour, qui venait rapidement, puisque je ne supportais pas le moindre ratage sur mes pages.
Je passais mon temps dans mon magasin de loisirs créatifs favori, comparant les modèles, les tailles, le nombre de pages, le type de papier.
Je me sentais mal de ne pas réussir à terminer un seul de mes achats et je les cachais hors de ma vue pour ne pas affronter ma honte.
Je poursuivais un rêve qui n’était pas le mien
D’un autre côté, je voyais passer des vidéos de YouTubers qui feuilletaient les pages impeccablement illustrées de ce qu’ils appelaient leur carnet de croquis et ça me désespérait au plus haut point.
Moi aussi, je voulais des pages à la composition parfaite, aux couleurs savamment choisies, littéralement prêtes à rejoindre un artbook.
Sans parler des marques qui leur envoyaient du matériel et des carnets à tester en échange de contenu. Si ça ce n’était pas une preuve de leur succès.
C’était comme si mon identité d’artiste était intimement liée à l’apparence de mon sketchbook et au temps que je lui consacrais. Si j’étais incapable d’en tenir un, je n’étais pas vraiment une artiste, pas vrai ?
Trouver le véritable objectif de son carnet de croquis d’artiste
La libération est venue au moment où j’ai commencé à travailler sur L’Oracle des Gardiennes Sacrées. Je savais que j’allais devoir proposer de nombreux croquis à ma partenaire et que le cadet de ses soucis serait l’esthétique de mes brouillons.
J’ai trouvé un vieux cahier Moleskine aux pages crème et toutes fines, incapable de supporter autre chose que du crayon et j’ai décidé d’en faire mon bras-droit.
Interdiction de l’abandonner pour un modèle plus joli, moins raturé ou que sais-je ?
Ce carnet me servirait à documenter mon aventure artistique sur le premier plus gros projet de ma vie.
En apparence, rien n’avait changé. Mes pages étaient toujours laides, gommées, pleines de brouillons moches.
La différence ? Il avait un but, un vrai.
J’avais moi aussi un but avec mon sketchbook.
C’était mon carnet d’aventurière.
Je n’ai plus abandonné un seul d’entre eux depuis.
Comment j’utilise mon carnet à dessin
Un bras-droit dans lequel naissent mes aquarelles
Mon carnet d’artiste n’a pas de vocation esthétique. Il s’agit avant tout d’un endroit pour :
- Jeter mes idées d’illustrations
- M’entraîner sur certains sujets
- Poser les bases de futures collections.
J’ai une façon de travailler assez routinière. Pour moi, une œuvre terminée n’a pas sa place dans mon carnet.
Voilà pourquoi, quand un dessin me plaît, j’ai tendance à le travailler en dehors du carnet, pour n’y garder que mes ébauches.
Il m’arrive de m’autoriser quelques jolies pages au crayon de couleur, mais cela reste très instinctif. Je ne passe pas des heures sur un croquis pour le perfectionner. S’il mérite de l’être, il deviendra une illustration à part entière.
Faut-il utiliser son carnet tous les jours?
Personnellement, je ne me force pas à dessiner dans mon carnet quotidiennement. J’y vais lorsque j’en ressens l’envie, quand je cherche des idées pour une nouvelle collection d’aquarelles, quand je m’ennuie et que je ne veux pas scroller sur les réseaux commerciaux…
Je ne pense pas qu’il faille absolument se contraindre à dessiner ou écrire dans son carnet par souci de productivité. C’est le meilleur moyen de se dégoûter et d’abandonner une nouvelle fois, surtout quand on est une artiste multicasquette avec de nombreux projets sur le feu..
Par contre, on peut se fixer des défis amusants, comme ce que j’ai choisi de faire avec le mien.
Visite mon carnet à dessin chaque mois sur Patreon
À l’époque où j’ai commencé à travailler sur les croquis de L’Oracle des Gardiennes Sacrées, j’avais besoin de m’engager dans mon projet de tout documenter dans mon carnet de croquis d’artiste.
J’ai naturellement pris cet engagement devant mes mécènes sur Patreon, qui me soutiennent dans tous les aspects de ma vie d’artiste indépendante.
Chaque mois, je leur fais visiter les pages de mon sketchbook en vidéo. Je commente les différentes pages, j’explique à quel projet chaque dessin est relié.
C’est un moment très léger durant lequel je ne cache aucun croquis, même laid ou inachevé, parce que mes mécènes ont toute ma confiance et je sais qu’ils sont curieux de savoir comment je pars d’un vague brouillon pour terminer sur une aquarelle remplie de détails.
Si tu veux découvrir chaque mois les secrets de mon carnet de croquis – je ne le montre pas souvent ailleurs–, il te suffit de devenir mécène sur Patreon à partir du niveau Aventurine.
Tu auras accès à d’autres contreparties comme des vidéos de peinture, des posts exclusifs et un code promo permanent dans la boutique en ligne.
Et qui sait ? Cela te donnera peut-être envie de renouer avec tes carnets !
Tu viens ?
Article modifié et réécrit le 04 juin 2024
Alors je te rassures (ou pas), c’est un dilemme que rencontrent aussi les écrivains qui n’ont aucun don pour le dessin ou la peinture.
Je rêve d’un carnet d’écriture aussi beau que les carnets des grands voyageurs écrivains du XIXe siècle.
Mais c’est impossible.
Et puis le grand défi, pour moi, c’est surtout : comment retrouver une note écrite il y a des années ?
Avec du papier je n’y suis jamais arrivé.
Tu fais comment, d’ailleurs, pour ranger tes carnets ? Par année, par thème ?
Si tu veux retrouver un dessin particulier, une étude, un croquis, tu cherches dans tous ou tu sais déjà dans lequel tu as travaillé il y a des années ?
J’ai cru comprendre que tu n’avais pas des carnets d’une seule taille, mais en fait tu préfères quoi ? Le A4 ? Mais c’est grand, non ?
Moi j’ai commencé à résoudre mes problèmes quand j’ai accepté que l’écrit papier n’était pas fait pour moi dans ce but.
Il m’a fallu passer à l’écrit virtuel. Pas seulement dactylo mais aussi écrit avec un stylet sur ma tablette. Avec la ROC qui s’est démocratisée, ça me permet d’allier le geste naturel de l’écrit au stylo (que j’aime quand je prends des notes) au classement et à la recherche possible même dans le texte manuscrit (quand le logiciel reconnaît mon écriture hiéroglyphique, cela va sans dire…)
Héhé, pour les écrivains, je ne le sais que trop hélas ^^ ! Et je te rejoins pour la question de retrouver ses notes. J’adore le papier, mais c’est une galère de rassembler les notes prises au fil de l’eau sur un projet. Actuellement, je reprends les bases de ma série et je suis encoooore dans un carnet. Je suis irrécupérable.
Pour le rangement des carnets de dessin, j’ai un système très élaboré à base de « je te colle dans l’étagère et on verra plus tard ». Par contre, j’ai une excellente mémoire et si je dois retrouver un dessin, sois sûr que je le retrouve. Mon format préféré est effectivement le A4, mais c’est difficile à transporter. Et le A5 est trop petit. La vie est mal fichue 🙂
Ça a l’air super la ROC, du coup ça te permet de numériser toutes tes notes de cette façon ? C’est un peu comme les tablettes Cintiq pour les artistes, tu dessines avec le stylet, c’est hyper confort. Mais tellement onéreux ! Je crois que j’aurais peur d’emmener le matériel en balade. Je suis moins stressée avec un brave carnet-stylo.
Depuis peu, en effet, la ROC me permet de rechercher un mot précis dans mes notes, qui sont aussi classées par « tags » dans un logiciel.
Je peux ainsi mieux retrouver ce que je veux.
Il me reste à trouver la combo ultime pour pouvoir aussi retrouver des liens internet, mes signets, des notes écrites, des images, etc.
J’ai une piste sur un système intégrant plusieurs logiciels (et sans Evernote car un abonnement de plus et pour voir mes notes fuiter dès qu’ils auront une faille de sécurité, j’ai pas trop envie).
Mais à l’instar de Lionel Davoust, ma quête est un peu celle de la quadrature du cercle…
Le problème des Cintiq c’est le prix du matériel qui en fait quelque chose d’assez précieux. Et je ne sais pas si ça remplace le toucher du papier.
Reste la possibilité de trouver un logiciel (je ne sais pas si ça existe vraiment mais sur Mac j’avais trouvé un petit utilitaire qui était un bon début malgré ses imperfections), qui pourrait transformer un dessin en vectoriel à la numérisation.
Il n’y a pas Inkscape qui vectorise facilement ?
Ça vectorise… si tu fais le boulot toi-même…
J’avais trouvé un petit utilitaire sur Mac qui vectorisait seul (mais pas très bien, c’est vrai… il était gratuit) selon des paramètres que tu pouvais déterminer toi-même.
Ces outils qui ne veulent pas bosser seuls, c’est tellement décevant ^^